MON PERE AVAIT 25 ANS (5)
LUNDI 20 MAI La nuit a été calme . Ce matin je peux me laver .Certains copains sommeillent encore . D'autres sont allés chercher de la salade au jardin et la préparent .Nous fouillons les armoires avec le caporal Boutten . Rien à croûter .Nous devons regagner nos positions . J'ai bien faim mais je n'ai plus rien car toutes mes affaires sont restées dans ma chambre à Colleret .
La guerre commence vraiment .Nous savons qu'il nous faudra tenir tête à l'ennemi pour permettre aux renforts d'arriver . Notre « ligne » s'organise .On continue l'aménagement des trous ; les armes reçoivent des missions plus précises . J'ai 2 mitrailleuses dans mon groupe .
Durant toute la journée : bombardements d'artillerie et d'aviation. La résistance française sur la Sambre tient toujours . De temps en temps le cri « Au secours ! » retentit . Ce sont les camarades blessés . Il y a des tués aussi , hélas ! .
La nuit est tombée . L'heure approche où il nous faudra combattre . Le fort (?)de Boussois a dû se défendre âprement . Dans sa direction nous entendons retentir le cri de « Soldats français , rendez-vous ! »
Les moments sont lugubres , l'attente met nos nerfs à rude épreuve . Je me domine assez bien mais je me rends compte de plus en plus que nous sommes encerclés . Prisonnier ? Cela ne me sourit pas du tout. Il faudra consommer à bon escient les munitions car elles sont peu abondantes . J'ai nettement l'impression que nous ne saurions tenir longtemps .
MARDI 21 MAI Ils sont là ! .. L'impression que j'avais ressentie a été moins forte que je l'avais prévue : la nuit a été calme . Nous sommes à présent au contact .Mes mitrailleuses sont entrées en action .Les balles sifflent un peu partout .L'aviation et l'artillerie ennemies sont de la partie .
On dirait que nous sommes particulièrement repérés. Je me faisais cette réflexion quand un obus tiré par un minenwerfer – c'est ce que je pense – éclate juste derrière moi . J'ai baissé la tête . Je me dégage de la terre qui m'a recouvert .
Quelque chose de très chaud me coule sur la jambe gauche . C'est du sang . Je me traîne dans le petit entonnoir . J'envisage la mort . Ma petite femme,mon Yvon, maman et soeur, vous tous mes bien aimés êtes dans ma pensée .